Historique


La Dame à la licorne : six tapisseries exécutées à la fin du XVe siècle par l’un des plus grands artistes, le Maître de Moulins, qui imagina cet ensemble à la demande de Jean IV Le Viste, président de la Cour des Aides.
Fondée sur un accord fondamental de bleu et de rouge, elle offre l’image d’une femme mystérieuse, aux gestes précis et d’une rare élégance. Une Dame associée à un animal dont l’invention remonte à plusieurs millénaires, dans l’écrin de verdure d’une île bleue, entourée d’une faune et d’une flore abondante et variée.
La tenture se compose de cinq pièces évoquant les cinq sens : La Vue, Le Goût, L'Ouïe, Le Toucher, L'Odorat ; ainsi que d'une sixième, plus complexe par sa composition et sa signification. Celle-ci, dite pièce de La Dame à la tente, en raison du pavillon derrière elle, a été également nommée plus simplement A mon seul désir, du nom de la devise inscrite au fronton dudit pavillon.

La découverte

Les différents propriétaires, depuis Jean Le Viste qui la commanda au cours des années 1480, ont toujours reconnu dans la tenture un ensemble exceptionnel. Ils ont fait en sorte d’en conserver l’intégralité, ce qui est unique dans l’histoire de la tapisserie médiévale. C'est ainsi qu'elles étaient conservées au château de Boussac. En 1835, l’héritière du château, devenue par mariage Mme de Ribeyris, se décida à les vendre à la commune de Boussac. En 1841, au cours d’une séance de la Commission des Monuments historiques, Prosper Mérimée signale l’état d’abandon des tapisseries et propose leur acquisition par la Bibliothèque royale. La subvention accordée pour restauration fut finalement détournée par la commune qui l’affecta au seul château.
L'état de la tenture empira. Rien ne bougea jusqu’au jour où un émissaire des Rotschild proposa son acquisition en 1877 pour 25 000 francs. Aussitôt Edmond du Sommerard, directeur du Musée des Thermes et de l’hôtel de Cluny, fut chargé de reprendre les négociations. Elles aboutirent lorsque la Commission des Monuments Historiques accepta de payer cette somme le 9 juin 1882. Le 21 avril 1883, la Commission l’inaugura en grande pompe, après qu’elle ait subi une première restauration aux Gobelins. Une seconde dut intervenir en 1889.

La légende

La tenture était arrivée à Paris entourée d'un halo de légende et d'épopée. Ces légendes remontaient sans aucun doute à une époque très ancienne, probablement à l’arrivée des pièces au château de Boussac.
C’est vraisemblablement en 1600 qu’elles y prirent place, lors du mariage de Jeanne de La Roche Aymon, héritière de la tenture, et de François de Rilhac, propriétaire du château. Quoi qu’il en soit, la légende était parfaitement constituée au début du XIXe siècle et s’appuyait sur trois constatations qui se renforçaient mutuellement : les croissants qui, dans les armoiries, évoquaient irrésistiblement l’Orient ; le coffret dans la pièce A mon seul désir qui faisait songer à un cadeau de mariage ; le fait qu’à l’époque de la réalisation de la tenture, se trouvait prisonnier à Bourganeuf le prince Zizim, frère du sultan Bajazet II. Comme cela arrive très souvent, l’histoire et le nom des Le Viste avaient laissé place à une interprétation plus proche de la sensibilité du moment.
Le prince Zizim était l’un des fils de Mahomet II. Celui-ci avait réussi en 1453 à s’emparer de Constantinople, dont il fit aussitôt sa capitale avant de poursuivre ses immenses conquêtes. Il échoua devant l’île de Rhodes, défendue par les chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem et mourut peu après, en 1481. Bajazet lui succéda et chassa aussitôt son frère Zizim qui lui disputait le pouvoir. Ce dernier trouva refuge à Rhodes auprès du grand maître, Pierre d’Aubusson. Il fut par la suite transféré de prison en prison, avant d’être remis au pape et de mourir en 1495. Il avait trouvé entre temps un refuge provisoire à Bourganeuf, non loin du château d’Aubusson, dans la demeure du Grand Prieur d’Auvergne. Il s’y trouvait logé avec ses femmes, ses compagnons d’infortune, ses trésors. Il y aurait rencontré Marie de Blanchefort, nièce de Pierre de Bourganeuf, pour laquelle il aurait eu une grande passion.
A son intention, et dans les ateliers d’Aubusson, il aurait fait tisser la tenture en donnant les traits de Marie à la Dame située devant la tente. La tenture se trouvait ainsi une explication dans chacune de ses pièces, mais surtout dans les différents éléments qui la constituaient : pavillon turc, croissants, vase, aiguière et bassin. Ces deux derniers évoquaient de surcroît le baptême donné à Zizim qui lui aurait permis de réaliser son vœu le plus cher : épouser Marie, une chrétienne. Cette belle histoire a été depuis abandonnée, mais on en a conservé l’idée erronée que la tenture aurait été tissée en cadeau de mariage.

La réalité : Jean IV Le Viste

Les recherches conduites depuis 1882 sur la famille Le Viste ont abouti à mieux la connaître et à cerner le commanditaire de la tenture. Implantés à Lyon dès la fin du XIIIe siècle, les Le Viste se livrent au milieu du siècle suivant au commerce du drap et entrent dans l’oligarchie urbaine en se faisant élire au consulat. En 1458, l'héritier de la famille, Jean IV, se trouve riche d'un important patrimoine. De plus, il bénéficie de relations importantes auprès des ducs de Bourbon qui continuent d'aider les Le Viste dans leur étonnante promotion sociale. Cependant pour passer de cette noblesse virtuelle à une noblesse graduelle, le service du roi est indispensable. Il est vraisemblable que le duc de Bourbon a servi d’intermédiaire auprès de Louis XI. De fil en aiguille, alors que le roi est mort depuis six ans, Jean IV est nommé président de la Cour des aides, le 4 décembre 1489. Cette charge en fait un des hauts personnages de l’Etat ; elle entraîne en principe l’accès à la noblesse.
Les émoluments – environ 1000 livres tournois par an – lui permettent d’acquérir de nouveaux domaines. Son mariage avec Geneviève de Nanterre renforce encore cette position sociale. Il meurt le 1er juin 1500, laissant trois filles. Aucune ne pouvant relever les armoiries, elles le furent par un petit neveu, Antoine, fils de son frère Jean III. Si la tenture marque cette obsession nobiliaire, l’inscription funéraire de Jean IV ne mentionne pourtant aucun titre de noblesse : ardemment souhaités, ces titres ne furent vraisemblablement pas obtenus. Plus tard les consuls de Lyon les refusèrent également à Antoine.
C’est à Jean IV qu’il revient d’attribuer la commande de la tenture de La Dame à la licorne, en raison de la date qu’on peut lui attribuer. Pour des raisons de style, elle doit en effet se situer au cours de la décennie 1480.